Atteinte à l'ordre public ? [PV : Moira]

Allons bon, du brouillard et un froid de canard... Son supérieur avait bien choisi sa nuit pour l'envoyer vadrouiller dans les ruelles de Bloomsbury ! Frissonnant sous le froid, l'inspecteur de police accélera le pas pour se réchauffer, suivi d'un Winsor ma foi fort à l'aise...

"Ce n'est pas la peine de me regarder d'un air narquois, je n'ai pas de fourrure moi... Et méfie toi qu'il ne me prenne pas l'idée de m'en munir."

Le chien jappa, peu inquiet apparemment de la menace et un demi sourire étira les lèvres du flic. La nuit était froide mais belle et avec un peu de chance il aurait peut-être la possibilité de faire une belle moisson de paumés et de racailles en tout genre pour garnir un peu le poste de police histoire que ses collègues de la journée aient de quoi s'occuper pendant que lui irait prendre un repos bien mérité.

Il tourna au coin de la rue sans jeter un regard à la grande cathédrale qui attirait tant de touristes, il connaissait ce quartier par coeur de toutes façons et il avait bien d'autres choses à penser. Ce groupe là au loin, n'était-il pas suspect ? Et ce jeune homme au regard fuyant là, n'avait-il rien à se reprocher ? Les mains dans les poches, l'inspecteur marchait d'un pas égal. Habillé en civil, il passait totalement inaperçu si ce n'était l'arme à feu soigneusement accrochée à sa ceinture et que sa veste dissimulait. Il avait eu une assez mauvaise expérience la semaine passée et il ne tenait pas à recommencer, méfiant de nature à la base il avait encore gagné en prudence depuis ces événements. Evénements qui ne cessaient de repasser dans son esprit d'ailleurs, il y avait de quoi non ?

Il se laissait aller à ses pensées, déçu de voir que les possibles suspects qu'il avait repéré n'étaient en fait que de paisibles citoyens britanniques lorsqu'un mouvement non loin attira son attention. Un homme faisait de grands gestes au loin et parlait à une femme qui tournait le dos à Paul. Tout deux parlaient fort même si il ne parvenait pas encore à capter leurs paroles, se disputaient-ils?
Intrigué, il s'approcha doucement et compris très vite à quoi il avait affaire. La tenue osée de la femme ne laissait pas de doute même de dos, et d'ailleurs les regards désapprobateurs que lui jetaient certains passants démontraient bien que chacun avait reconnu en elle une prostituée. Une de ces filles perdues qui offrait sa couche pour quelques livres et qui indignait toute la bonne société.

Paul de son côté se fichait pas mal de ce que ses femmes pouvaient bien faire de leur corps. C'était leur problème et non le sien. Tout juste désapprouvait-il la façon qu'elles avaient de s'afficher en tenue légère au beau milieu des boulevards mais en règle générale il mettait plus d'acharnement à poursuivre les proxénètes que leurs misérables gagnes pains. Et pour tout dire il préférait mille fois coller les assassins et autre fous dangereux en prison que les escrocs et différents requins. Son but était de purger la société de tout ceux qui pouvaient lui faire du mal, il n'était pas sur que les prostitués en fassent vraiment partie... Toutefois il était en service et son sens du devoir lui interdisait de passer outre. La prostitution était un délit, et il était là pour réprimer ce genre de choses.

Résolu, il se décida à s'approcher du duo. Les mains toujours dans les poches de sa veste, le chien marchant sagement à ses pieds, rien ne venait trahir son appartenance à l'autorité mais il était assez expérimenté pour savoir que les hors la loi sentaient généralement ses choses là à plusieurs lieux. Il se tenait donc sur ses gardes, prêt à tout éventualité y compris celle de piquer un sprint derrière sa proie du jour si elle décidait de lui fausser compagnie. Mal lui en prendrait d'ailleurs, Winsor avait quatre pattes, elle deux.

"Bonsoir... Un soucis monsieur dame ?"

Il observa les deux protagonistes, notant de son regard vif le signalement de chacun puis attendit qu'on lui réponde, curieux de savoir ce qui se passait entre eux. Défaut de payement ? Client insatisfait ? Autre chose ? Ce qui était certain, c'était qu'au moins l'une des deux irait dormir au poste ce soir et qu'il n'hésiterait pas à embarquer l'homme avec si celui-ci lui en donnait l'occasion...

Moira ne travaillait que très rarement hors de Whitechapel. Du moins pour ce qui était des services de rue. Il lui arrivait de monter dans une calèche qui la menait à une chic maison. Mais c’était des cas extrêmes et souvent c’était pour des soirées privées qui ne devaient pas s’ébruiter. Ce qui faisait son talent et sa demande, était qu’elle était une courtisane qui n’allait pas très loin dans les phantasmes des hommes, et ainsi elle les tenait par le col, demandant à chaque fois un peu plus pour donner un peu plus. Cette nuit là, elle était avec un client, plus ou moins régulier. Il avait voulu une fellation, suivie d’une pénétration, un classique, rien de très compliquée pour quelqu’un comme Moira qui depuis le temps avait à présent le coup de main pour satisfaire ce monsieur. Le rendez-vous s’était passé comme d’habitude. Elle l’avait attendu à l’entrée du quartier de WhiteChapel, elle était montée dans la calèche et pendant que le cocher faisait courir les chevaux dans un rythme régulier de battement de sabots sur les pavés, elle avait, à la lumière des réverbères perçant l’épaisse étoffe des rideaux rouges du carrosse, donné une fois de plus une fonction purement instrumental à son corps. Mais alors que le payement devait être effectué, le client s’attarda sur d’hasardeuses explications et justifications que sa bourse était resté dans sa demeure, que ce n’était pas un problème, qu’ils y allaient. C’était donc ainsi que Moira se retrouva à Bloomsbury. Pas si riche que cela le bon client. Moira passait quelques journées à Bloomsbury, les touristes y étaient déjà affluents, même si passer des vacances à Londes n’étaient au sens de Moira pas vraiment des vacances. Mais en même temps pour aller dans d’autres destinations, les colonies par exemple, il fallait être sûr de vouloir s’y installer, parce que le voyage de retour n’était pas garanti. La jeune femme avait des fois pensé à aller au sud, à refaire une vie…mais elle ne parlait qu’anglais et son expérience lui avait appris qu’il ne suffisait pas de changer d’endroit pour changer de vie, que dans une colonie, elle resterait encore une pute ou peut-être une servante…ou les deux, les deux étaient dans le domaine du service à la personne. La calèche s’arrêta, dans une rue à fréquentation modérée. Moira et son client en descendit et là ce fut le drame. Son client retourna sa veste, profitant de la présence d’autres personnes pour refuser de payer, nier qu’il y avait eu consommation. Il pensait sans doute que la présence d’autrui freinerait Moira qui partirait la queue entre les jambes. Le problème c’était que premièrement elle était une chienne galeuse, deuxièmes elle mordait et troisièmement, il fallait payer. Rapidement sa voix gagna en intensité, et la colère fit remonter son accent écossais. Elle alla même jusqu’à essayer de lui arracher sa bourse pour prendre ces malheureuses livres qu’il lui devait et qui ne constituait même pas 5 % de la somme totale. Ce qui lui valu une gifle qui la fit presque perdre l’équilibre.

C’est à ce moment là qu’elle entendit la voix d’un homme. En se tenant la joue, elle tourna la tête vers l’inconnu qui avait un chien. Pour elle, pas de doute, elle voyait écrit en grandes lettres POLICE sur son front, même s’il était habillé en civil. Quand on vit dans le milieu de la criminalité, même si on est toléré, on apprend à reconnaitre les signes. A WhiteChapel, elle connaissait les bobbies, il la protégeait même parfois de certains clients, et en échange, elle faisait en sorte d’être discrète, ce qu’on ne voit pas, on ne le relève pas. Mais ici, elle n’était pas dans son quartier, la zone de tolérance n’était plus et elle réalisait qu’avec son comportement, elle risquait la prison. Elle y avait échappé jusqu’à maintenant, et elle ne voulait pas y finir, même pour un délit mineur. Cependant, il était inutile de nier. Il l’avait sans doute aussi identifier. Alors que le client répondit par « rien », classique réponse d’un homme qui ne veut pas qu’on se mêle de ses affaires, Moira eut une réaction qui pouvait surprendre
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« Il ne veut pas payer » déclara—t-elle le plus sérieusement du monde, comme s’il s’agissait d’une paire de chaussure, d’un repas ou d’un fruit que l’homme à ses côtés avait pris et ne payait pas.

Elle se délecta de la réaction de son client, qui arbora une jolie couleur pivoine avant de commencer à l’insulter de tous les noms qui puissent à être associés à une catin.

Le policier fronça les sourcils en voyant la fille se tenir la joue. Prostituée d'accord, honte de la société pourquoi pas, mais ce n'était certainement pas une raison pour lui taper dessus et surtout pas lorsqu'on était un homme de la carrure de celui là ! Honte à lui qui osait s'en prendre à une femme si misérable soit-elle !

Ainsi donc il n'y avait rien ? Idiot que celui là, ne savait-il pas que pour un policier ce petit « rien » classique et ce regard fuyant voulait tout dire ? La fille quand à elle ne chercha même pas à nier quoi que ce soit et annonça avec un certain culot :

« Il ne veut pas payer. »

Paul se figea, quelque peu surprit tandis que le visage du client virait à une jolie couleur écarlate et qu'il se mettait à insulter la fille copieusement. L'inspecteur n'eut que le temps de bloquer au vol la main qui partait pour une deuxième gifle

« Voulez vous bien vous calmez ? Oh ! STOP ! »

Il avait dû élever la voix pour couvrir les beuglements outrés de son interlocuteur et celui-ci se débattait à présent pour écarter le policier et coller la raclée qu'il estimait méritée à la fille de joie. Paul le repoussa sans douceur et prévint :

« Un mot, un geste de plus et je vous colle en cellule pour le reste de la nuit ! »

« Mais vous l'entendez cette catin ? Comment ose-t-elle s'adresser ainsi à un honnête homme ? Faites votre travail monsieur je vous prie et arrêtez là pour ses délits ! »

« Un honnête homme qui oublie de retirer l'alliance qu'il a au doigt avant d'aller satisfaire ses envies perverses auprès de la catin en question... »

Et hop, le revoilà qui pique un fard le prétendu honnête homme ! Allait-il oser insulter le flic de la même façon qu'il avait insulté la fille ? Certainement pas... Mais Paul n'avait pas l'intention de la laisser triompher non plus. Il se tourna vers elle, visage fermé et regard froid :

« Quand à vous mademoiselle je veux voir immédiatement vos papiers. Ce monsieur va payer son dû et vous allez me suivre au poste.... VOUS VOULEZ VENIR AUSSI ? J'AI DE LA PLACE POUR TOUS LE MONDE ! »

Il s'adressait à présent aux badauds qui s'attroupaient pour mieux voir l'arrestation de l'objet de leur mépris. Ils se dispersèrent rapidement sous le regard mauvais du représentant de l'ordre tandis que le client se mettait à protester :

« Il est hors de question que je paye, la prostitution est punie par la loi ! »

« Et les agressions verbales envers un fonctionnaire de police dans l'exercice de ses fonctions aussi. »

Nouveau changement de couleur pour le client qui cette fois passa rouge brique, il manque s'étrangler :

« QUOI ? Je ne vous ai pas insulté ! »

Un demi sourire tranquille éclaira les traits de Paul, flegmatique :

« Ah ? J'ai dû mal entendre alors. Quand je suis arrivé j'ai entendu des mots durs et j'ai cru qu'ils étaient à mon encontre. C'est ennuyeux car je n'ai aucun moyen de savoir que ce n'était pas le cas et donc je vais devoir vous embarquer aussi. Mais ne vous inquiétez pas, ce n'est que l'histoire de quelques quarante huit heures de garde à vue après quoi mon supérieur me passera mon énième savon de la semaine et vous pourrez retourner à vos affaires... Rien de grâve non ? Si ce n'est peut-être l'humiliation de dormir au poste... »

« C'est bon j'ai compris, qu'elle le prenne son argent cette trainée ! »

Joignant le geste à la parole il jeta une liasse de billet à la figure de la fille et cracha :

« C'est bon je peux y aller maintenant ?? »

Paul hocha la tête ironiquement

« Mes respects à votre femme... »

Pressentant qu'à présent qu'elle avait été payée la fille pourrait bien avoir envie de lui fausser compagnie il se réintéressant à elle et posa une main ferme sur son épaule

« Je crois qu'il est temps d'y aller... »

Moira observa la scène avec un certain recul. C'était comme une de ces pièces de théâtre pittoresque. Alors que les deux hommes s'échangeaient ces mots, des mots. Elle ne s' était même pas intéressée, au point de ne même pas savoir qu'il s'agissait également d'elle. Le pourquoi de cette inattention était la rue qu'elle fixée et qui donnait en sens opposé à celui de l'officier de police et de son fidèle compagnon à 4 pattes. Elle aurait pu s'enfuir, filer à l'anglaise pour reprendre cette fameuse expression. Le regard au loin, le corps se penchant lentement pour faire un pas, elle fut enchainer à sa position par un grommèlement très distinctif. Le chien était la deuxième paire d'yeux du policier. L'idée de s'échapper s'envola, aussi vite, que cet oiseau qui passait disparut dans la l'épaisseur de la nuit. Son regard croisa celui du chien. Un fin sourire sur ses fines lèvres. C'était un bon chien....il ressemblait un peu au sien, quand elle était petite...il y a longtemps dans son pays d’écossé. Chaque matin, ils parcouraient les verts pâturages à la recherche de nouvelles aventures. elle se demandait parfois s'il était encore envie, s'il attendait toujours son retour, posté devant la porte...dans la même position où elle l'avait laissé en partant. Pas grand monde ne lui manquait, mais cet animal, lui arrachait parfois quelques larmes en repensant à une vie tellement plus simple.

Calme, presque aussi discrète que les pavés sur lesquels elle était debout, Moira quitta le chien des yeux quand son client lui jeta une liasse de billets. L'observant entre ses mains, elle se sentit sale, comme d'habitude, comme à chaque fois. Rapidement, ces regrets et dégoûts s'effacèrent alors que les billets disparaissaient dans un coin de son soutien gorge, dans un geste bien trop grossier pour le quartier. Elle était riche pour l'instant, mais qu'est-ce que cela pouvait bien lui apporter? Si elle allait en prison, elle ne pourrait même pas payer la caution avec cet argent. Elle était pour la patronne...et pour le garant de leur sécurité...de cette liasse, il ne resterait que de quoi payer une bouteille de cidre, une livre de pain et quelques tranches de jambon. Elle dit dos à l'agent. Ne saisissant cependant pas l'occasion de s'enfuir. Elle regarda simplement le ciel. Comme si elle n'allait jamais sortir de l'endroit où il allait l'emmener. Certes, elle exagérait certainement quelque peu. Mais elle avait peur. Peur de ce qu'on pourrait lui faire sans son consentement. Il y avait eu tellement d'histoires, tellement de ragots. Elle n'y avait jamais vraiment prêté attention jusqu'à aujourd'hui. Elle déglutit, et tourna la tête vers l'inspecteur. Elle ne pouvait s'afficher comme une fleur fragile dans ces lieux. Elle devait être la Moira du début de cette conversation. Celle qui avait eu les boules de prononcer ces quelques mots. Des mots, toujours des mots. Ils étaient sa dernière et meilleure défense pour l'instant. Certes, refuser d'obtempérer, n'était pas conseillé dans son cas, mais que pouvait-elle bien faire? Ces années dans la rue lui avait appris que celui qui se laisse faire finit toujours par tomber le premier. Sans pour autant se dégager de la prise du policier, elle refusa de bouger.

"Aller où? Ne peut-on pas s'arranger? Il n'y a rien eu dans votre secteur aye..."

Il y avait 3 réponses possibles à cette question. Elle était la marque de fabrication pour différencier un flic corrompu, d'un flic intègre. Dans les 2 cas, Moira ne sut dire ce qu'elle voulait le plus. Un flic corrompu qui après avoir pris cet argent ou demandé une faveur la laisse partir ou un homme droit et juste qui sans pitié lui donnerait un avertissement pour la remettre dans le bon chemin...Pourquoi ce pasteur d'André n'était donc jamais là quand il le fallait. Lui il avait les mots, le doigté de les manipuler pour faire de beaux discours rassurants et convaincants.